Comment répondre à la menace d’une épidémie grippale hautement meurtrière, sans oublier en route les valeurs de justice, d’équité et de solidarité avec les plus faibles ? Depuis la crise de la grippe aviaire et le premier plan gouvernemental en 2004, des spécialistes de l’éthique réfléchissent aux enjeux moraux d’une pandémie et pointent les risques qu’une éventuelle crise sanitaire peut faire peser sur les valeurs de notre société. Un chapitre exclusivement consacré à ces questions a d’ailleurs été ajouté au plan initial du gouvernement.
La première crainte concerne les éventuelles réactions de panique et la ruée des bien-portants vers les pharmacies pour s’approvisionner en médicaments, au détriment des personnes malades ou isolées. S’il faut choisir entre les malades, en cas de pénurie de médicaments, ou de difficultés d’approvisionnement en vaccins, quels critères retenir ? Le comité d’éthique rejette l’idée d’un tirage au sort « égalitaire mais pas équitable », estime Pierre Le Coz, philosophe et rapporteur de l’avis. Il propose de « définir des priorités » en s’inspirant du système de répartition des dons d’organes, qui gère la pénurie depuis des années. « Des critères éthiques qui fixent un cadre de référence (âge, risques de complications, par exemple) sont nécessaires pour établir une relation de confiance », estime-t-il.
Autre question « essentielle » pour Pierre Lecoz : jusqu’où renoncer à certaines libertés individuelles pour lutter contre un fléau sanitaire ? En cas de risque majeur de contagion, le gouvernement prévoit une limitation des déplacements. Pour autant, l’état d’urgence sanitaire ne saurait justifier, « sauf circonstance d’une exceptionnelle gravité, le sacrifice du respect de la vie privée des personnes et de la confidentialité des informations afférentes à leur santé », estime le comité d’éthique.Enfin, l’accès aux traitements dans les pays pauvres constitue une question éthique majeure. Emmanuel Hirsch déplore ainsi « l’absence de signal fort de l’Organisation mondiale de la santé sur ce sujet », alors que tous les pays riches, et en premier la France, ont stocké des médicaments antiviraux en prévision de l’épidémie. Le comité d’éthique demande de son côté le « partage avec les pays pauvres », au nom du « devoir d’assistance » mais aussi pour « contribuer à réduire la sévérité de l’épidémie dans les pays donateurs », comme l’ont montré plusieurs études. « Aider les autres, c’est s’aider soi-même.
La protection ne peut plus se concevoir à l’intérieur de nos frontières », affirme Jean-Claude Ameisen, président du comité d’éthique de l’Inserm, convaincu que « la lutte contre une éventuelle pandémie peut être un levier contre l’exclusion ». Pour Claude Évin, président de la Fédération hospitalière de France, « les pandémies révèlent l’échelle des valeurs d’une société, par sa capacité à prendre en charge tous ses membres et à porter un projet collectif qui ne se résume pas à la somme désordonnée des actions individuelles ».
Sem comentários:
Enviar um comentário